Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/292

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rend médisantes & satiriques est de parler de leur sexe : tant qu’elles se bornent à parler du nôtre elles ne sont qu’équitables. Sophie s’y borne donc. Quant aux femmes, elle n’en parle jamais que pour en dire le bien qu’elle sait : c’est un honneur qu’elle croit devoir à son sexe ; & pour celles dont elle ne sait aucun bien à dire, elle n’en dit rien du tout, et cela s’entend.

Sophie a peu d’usage du monde ; mais elle est obligeante, attentive, & met de la grâce à tout ce qu’elle fait. Un heureux naturel la sert mieux que beaucoup d’art. Elle a une certaine politesse à elle qui ne tient point aux formules, qui n’est point asservie aux modes, qui ne change point avec elles, qui ne fait rien par usage, mais qui vient d’un vrai désir de plaire, & qui plaît. Elle ne sait point les compliments triviaux, & n’en invente point de plus recherchés ; elle ne dit pas qu’elle est très obligée, qu’on lui fait beaucoup d’honneur, qu’on ne prenne pas la peine, etc. Elle s’avise encore moins de tourner des phrases. Pour une attention, pour une politesse établie, elle répond par une révérence, ou par un simple Je vous remercie ; mais ce mot, dit de sa bouche, en vaut bien un autre. Pour un vrai service, elle laisse parler son cœur, & ce n’est pas un compliment qu’il trouve. Elle n’a jamais souffert que l’usage françois l’asservît au joug des simagrées, comme d’étendre sa main, en passant d’une chambre à l’autre, sur un bras sexagénaire qu’elle auroit grande envie de soutenir. Quand un galant musqué lui offre cet impertinent service, elle laisse l’officieux bras sur l’escalier, et s’élance en deux sauts dans la