Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/294

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on prétend l’amuser. Elle ne les reçoit point avec une colère apparente, mais avec un ironique applaudissement qui déconcerte, ou d’un ton froid auquel on ne s’attend point. Qu’un beau Phébus lui débite ses gentillesses, la loue avec esprit sur le sien, sur sa beauté, sur ses grâces, sur le prix du bonheur de lui plaire, elle est fille à l’interrompre, en lui disant poliment : "Monsieur, j’ai grand-peur de savoir ces choses-là mieux que vous ; si nous n avons rien de plus curieux à nous dire, je crois que nous pouvons finir ici l’entretien." Accompagner ces mots d’une grande révérence, & puis se trouver à vingt pas de lui n’est pour elle que l’affaire d’un instant. Demandez à vos agréables s’il est aisé d’étaler longtemps son caquet avec un esprit aussi rebours que celui-là.

Ce n’est pas pourtant qu’elle n’aime fort à être louée, pourvu que ce soit tout de bon, & qu’elle puisse croire qu’on pense en effet le bien qu’on lui dit d’elle. Pour paraît retouché de son mérite, il faut commencer par en montrer. Un hommage fondé sur l’estime peut flatter son cœur altier, mais tout galant persiflage est toujours rebuté ; Sophie n’est pas faite pour exercer les petits talents d’un baladin.

Avec une si grande maturité de jugement, & formée à tous égards comme une fille de vingt ans, Sophie, à quinze, ne sera point traitée en enfant par ses parents. À peine appercevront-ils en elle la première inquiétude de la jeunesse, qu’avant le progrès ils se hâteront d’y pourvoir ; ils lui tiendront des discours tendres et sensés. Les discours tendres & sensés sont de son âge & de son caractère. Si ce caractère est tel que je l’imagine, pourquoi son père ne lui parleroit-il pas à peu près ainsi :