Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/300

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humaine, c’est sur celle qu’il lui fera faire d’être digue de l’estime de ses parents.

Mettons la chose au pis, & donnons-lui un tempérament ardent qui lui rende pénible une longue attente ; je dis que son jugement, ses connaissances, son goût, sa délicatesse, & surtout les sentiments dont son cœur a été nourri dans son enfance, opposeront à l’impétuosité de ses sens un contre-poids qui lui suffira pour les vaincre, ou du moins pour leur résister longtemps. Elle mourroit plutôt martyre de son état que d’affliger ses parents, d’épouser un homme sans mérite, et de s’exposer au malheur d’un mariage mal assorti. La liberté même qu’elle a reçue ne fait que lui donner une nouvelle élévation d’âme, & la rendre plus difficile sur le choix de son maître. Avec le tempérament d’une Italienne & la sensibilité d’une Anglaise, elle a, pour contenir son cœur & ses sens, la fierté d’une Espagnole, qui, même en cherchant un amant, ne trouve pas aisément celui qu’elle estime digne d’elle.

Il n’appartient pas à tout le monde de sentir quel ressort l’amour des choses honnêtes peut donner à l’âme, & quelle force on peut trouver en soi quand on veut être sincèrement vertueux. Il y a des gens à qui tout ce qui est grand paraît chimérique, & qui, dans leur basse & vile raison, ne connaîtront jamais ce que peut sur les passions humaines la folie même de la vertu. Il ne faut parler à ces gens-là que par des exemples : tant pis pour eux s’ils s’obstinent à les nier. Si je leur disois que Sophie n’est point un être imaginaire, que son nom seul est de mon invention, que son éducation,