Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/308

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y réfléchissant, j’ai trouvé que tous ces arrangements trop prématurés étoient mal entendus, & qu’il étoit absurde de destiner deux enfans à s’unir avant de pouvoir connoître si cette union étoit dans l’ordre de la nature, & s’ils auroient entre eux les rapports convenables pour la former. Il ne faut pas confondre ce qui est naturel à l’état sauvage, & ce qui est nature là l’état civil. Dans le premier état, toutes les femmes conviennent à tous les hommes, parce que les uns & les autres n’ont encore que la forme primitive & commune ; dans le second, chaque caractère étant développé par les institutions sociales, & chaque esprit ayant reçu sa forme propre et déterminée, non de l’éducation seule, mais du concours bien ou mal ordonné du naturel & de l’éducation, on ne peut plus les assortir qu’en les présentant l’un à l’autre pour voir s’ils se conviennent à tous égards, ou pour préférer au moins le choix qui donne le plus de ces convenances.

Le mal est qu’en développant les caractères l’état social distingue les rangs, & que l’un de ces deux ordres n’étant point semblable à l’autre, plus on distingue les conditions, plus on confond les caractères. De là les mariages mal assortis & tous les désordres qui en dérivent ; d’où l’on voit, par une conséquence évidente, que, plus on s’éloigne de l’égalité, plus les sentiments naturels s’altèrent ; plus l’intervalle des grands aux petits s’accroît, plus le lien conjugal se relâche ; plus il y a de riches & de pauvres, moins il y a de pères & de maris. Le maître ni l’esclave n’ont plus de famille, chacun des deux ne voit que son état.

Voulez-vous prévenir les abus & faire d’heureux mariages,