Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/323

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surpris, on diroit que nous étions attendus ! Ô que le paysan avoit bien raison ! quelle attention ! quelle bonté ! quelle prévoyance ! & pour des inconnus ! Je crois être au temps d’Homère. Soyez sensible à tout cela, lui dis-je, mais ne vous en étonnez pas ; partout où les étrangers sont rares, ils sont bien venus : rien ne rend plus hospitalier que de n’avoir pas souvent besoin de l’être : c’est l’affluence des hôtes qui détruit l’hospitalité. Du temps d’Homère on ne voyageoit guère, et les voyageurs étoient bien reçus partout. Nous sommes peut-être les seuls passagers qu’on ait vus ici de toute l’année. N’importe, reprend-il, cela même est un éloge de savoir se passer d’hôtes, & de les recevoir toujours bien.

Séchés & rajustés, nous allons rejoindre le maître de la maison ; il nous présente à sa femme ; elle nous reçoit, non pas seulement avec politesse, mais avec bonté. L’honneur de ses coups d’œil est pour Emile. Une mère, dans le cas où elle est, voit rarement sans inquiétude, ou du moins sans curiosité, entrer chez elle un homme de cet âge.

On fait hâter le souper pour l’amour de nous. En entrant dans la salle à manger, nous voyons cinq couverts : nous nous plaçons, il en reste un vide. Une jeune personne entre, fait une grande révérence, & s’assied modestement sans parler. Emile, occupé de sa faim ou de ses réponses, la salue, parle, & mange. Le principal objet des on voyage est aussi loin de sa pensée qu’il se croit lui-même encore loin du terme. L’entretien roule sur l’égarement des voyageurs. Monsieur, lui dit le maître de la maison, vous me paraissez un jeune homme aimable & sage ; et cela me