Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/338

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heureusement pour Sophie, Emile est le seul qui n’y a rien compris. La promenade se continue, et nos jeunes gens, qui d’abord étoient à nos côtés, ont peine à se régler sur la lenteur de notre marche ; insensiblement ils nous précèdent, ils s’approchent, ils s’accostent à la fin ; & nous les voyons assez loin devant nous. Sophie semble attentive & posée ; Emile parle & gesticule avec feu : il ne paraît pas que l’entretien les ennuie. Au bout d’une grande heure on retourne, on les rappelle, ils reviennent, mais lentement à leur tour, & l’on voit qu’ils mettent le temps à profit. Enfin, tout à coup, leur entretien cesse avant qu’on soit à portée de les entendre, et ils doublent le pas pour nous rejoindre. Emile nous aborde avec un air ouvert et caressant ; ses yeux pétillent de joie ; il les tourne pourtant avec un peu d’inquiétude vers la mère de Sophie pour voir la réception qu’elle lui fera. Sophie n’a pas, à beaucoup près, un maintien si dégage ; en approchant, elle semble toute confuse de se voir tête à tête avec un jeune homme, elle qui s’y est si souvent trouvée avec d’autres sans être embarrassée, & sans qu’on l’ait jamais trouvé mauvais. Elle se hâte d’accourir à sa mère, un peu essoufflée, en disant quelques mots qui ne signifient pas grand-chose, comme pour avoir l’air d’être là depuis longtemps.

À la sérénité qui se peint sur le visage de ces aimables enfants, on voit que cet entretien a soulagé leurs jeunes cœurs d’un grand poids. Ils ne sont pas moins réservés l’un avec l’autre, mais leur réserve est moins embarrassée ; elle ne vient plus que du respect d’Emile, de la modestie de Sophie, & de l’honnêteté de tous deux. Emile ose lui adresser quelques