Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/344

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si docile. La petite personne m’accable d’amitiés dont je ne suis pas la dupe, & dont je ne prends pour moi que ce qui m’en revient. C’est ainsi qu’elle se dédommage indirectement du respect dans lequel elle tient Emile. Elle lui fait en moi mille tendres caresses, qu’elle aimeroit mieux mourir que de lui faire à lui-même ; & lui qui sait que je ne veux pas nuire à ses intérêts, est charmé de ma bonne intelligence avec elle. Il se console quand elle refuse son bras à la promenade & que c’est pour lui préférer le mien. Il s’éloigne sans murmure en me serrant la main, & me disant tout bas de la voix & de l’œil : Ami, parlez pour moi. Il nous suit des yeux avec intérêt ; il tâche de lire nos sentiments sur nos visages, & d’interpréter nos discours par nos gestes ; il sait que rien de ce qui se dit entre nous ne lui est indifférent. Bonne Sophie, combien votre cœur sincère est à son aise, quand, sans être entendue de Télémaque, vous pouvez vous entretenir avec son Mentor ! Avec quelle aimable franchise vous lui laissez lire dans ce tendre cœur tout ce qui s’y passe ! Avec quel plaisir vous lui montrez toute votre estime pour son élève ! Avec quelle ingénuité touchante vous lui laissez pénétrer des sentiments plus doux ! Avec quelle feinte colère vous renvoyez l’importun quand l’impatience le force à vous interrompre ! Avec quel charmant dépit vous lui reprochez son indiscrétion quand il vient vous empêcher de dire du bien de lui, d’en entendre, & de tirer toujours de mes réponses quelque nouvelle raison de l’aimer !

Ainsi parvenu à se faire souffrir comme amant déclaré, Emile en fait valoir tous les droits ; il parle, il presse, il