Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/357

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Parmi nous, où ces mêmes lois, en cela moins éludées, le sont dans un sens contraire & plus odieux, la jalousie a son motif dans les passions sociales plus que dans l’instinct primitif. Dans la plupart des liaisons de galanterie, l’amant hait bien plus ses rivaux qu’il n’aime sa maîtresse ; s’il craint de n’être pas seul écouté, c’est l’effet de cet amour-propre dont j’ai montré l’origine, & la vanité pâtit en lui bien plus que l’amour. D’ailleurs nos maladroites institutions ont rendu les femmes si dissimulées,*

[* L’espèce de dissimulation que j’entends ici est opposée à celle qui leur convient & qu’elles tiennent de la nature ; l’une consiste à déguiser les sentiments qu’elles ont, & l’autre à feindre ceux qu’elles n’ont pas. Toutes les femmes du monde passent leur vie à faire trophée de leur prétendue sensibilité, et n’aiment jamais rien qu’elles-mêmes.] & ont si fort allumé leurs appétits, qu’on peut à peine compter sur leur attachement le mieux prouvé, & qu’elles ne peuvent plus marquer de préférences qui rassurent sur la crainte des concurrents.

Pour l’amour véritable, c’est autre chose. J’ai fait voir, dans l’écrit déjà cité, que ce sentiment n’est pas aussi naturel que l’on pense ; & il y a bien de la différence entre la douce habitude qui affectionne l’homme à sa compagne, & cette ardeur effrénée qui l’enivre des chimériques attraits d’un objet qu’il ne voit plus tel qu’il est. Cette passion, quine respire qu’exclusions & préférences, ne diffère en ceci de la vanité, qu’en ce que la vanité, exigeant tout & n’accordant tien, est toujours inique ; au lieu que l’amour, donnant autant qu’il exige, est par lui-même un sentiment rempli d’équité. D’ailleurs plus il est exigeant, plus il est crédule : la même illusion qui le