Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/359

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lois de la sagesse ; inaccessible aux préjugés, aux passions ; qui n’aimoit que la vérité, qui ne cédoit qu’à la raison, et ne tenoit à rien de ce qui n’étoit pas lui ? Maintenant, amolli dans une vie oisive, il se laisse gouverner par des femmes ; leurs amusements sont ses occupations, leurs volontés sont ses lois ; une jeune fille est l’arbitre de sa destinée ; il rampe & fléchit devant elle ; le grave Emile est le jouet d’un enfant !

Tel est le changement des scènes de la vie : chaque âge a ses ressorts qui le font mouvoir ; mais l’homme est toujours le même. À dix ans, il est mené par des gâteaux, à vingt par une maîtresse, à trente par les plaisirs, à quarante par l’ambition, à cinquante par l’avarice : quand ne court-il qu’après la sagesse ? Heureux celui qu’on y conduit malgré lui ! Qu’importe de quel guide on se serve, pourvu qu’il le mène au but ? Les héros, les sages eux-mêmes, ont payé ce tribut à la faiblesse humaine ; & tel dont les doigts ont cassé des fuseaux n’en fut pas pour cela moins grand homme.

Voulez-vous étendre sur la vie entière l’effet d’une heureuse éducation, prolongez durant la jeunesse les bonnes habitudes de l’enfance ; &, quand votre élève est ce qu’il doit être, faites qu’il soit le même dans tous les temps. Voilà la dernière perfection qu’il vous reste à donner à votre ouvrage. C’est pour cela surtout qu’il importe de laisser un gouverneur aux jeunes hommes ; car d’ailleurs il est peu à craindre qu’ils ne sachent pas faire l’amour sans lui. Ce qui trompe les instituteurs, & surtout les pères, c’est qu’ils