Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/387

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nos passions, succomber à nos vaines douleurs, & nous glorifier encore des pleurs dont nous aurions dû rougir."

"C’est ici la première passion. C’est la seule peut-être qui soit digne de toi. Si tu la sais régir en homme, elle sera la dernière ; tu subjugueras toutes les autres, & tu n’obéiras qu’à celle de la vertu."

"Cette passion n’est pas criminelle, je le sais bien ; elle est aussi pure que les âmes qui la ressentent. L’honnêteté la forma, l’innocence l’a nourrie. Heureux amants ! les charmes de la vertu ne font qu’ajouter pour vous à ceux de l’amour ; & le doux lien qui vous attend n’est pas moins le prix de votre sagesse que celui de votre attachement. Mais dis-moi, homme sincère, cette passion si pure t’en a-t-elle moins subjugué ? t’en es-tu moins rendu l’esclave ? & si demain elle cessait d’être innocente, l’étoufferois dès demain ? C’est à présent le moment d’essayer tes forces ; il n’est plus temps quand il les faut employer. Ces dangereux essais doivent se faire loin du péril. On ne s’exerce point au combat devant l’ennemi, on s’y prépare avant la guerre ; on s’y présente déjà tout préparé."

"C’est une erreur de distinguer les passions en permises & défendues, pour se livrer aux premières & se refuser aux autres. Toutes sont bonnes quand on en reste le maître ; toutes sont mauvaises quand on s’y laisse assujettir. Ce qui nous est défendu par la nature, c’est d’étendre nos attachements plus loin que nos forces : ce qui nous est défendu par la raison, c’est de vouloir ce