Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/390

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n’auras point aussi les douleurs qui en sont le fruit. Tu gagneras beaucoup à cet échange ; car ces douleurs sont fréquentes & réelles, & ces plaisirs sont rares & vains. Vainqueur de tant d’opinions trompeuses, tu le seras encore de celle qui donne un si grand prix à la vie. Tu passeras la tienne sans trouble & la termineras sans effroi ; tu t’en détacheras, comme de toutes choses. Que d’autres, saisis d’horreur, pensent en la quittant cesser d’être ; instruit de son néant, tu croiras commencer. La mort est la fin de la vie du méchant, & le commencement de celle du juste."

Emile m’écoute avec une attention mêlée d’inquiétude. Il craint à ce préambule quelque conclusion sinistre. Il pressent qu’en lui montrant la nécessité d’exercer la force de l’âme, je veux le soumettre à ce dur exercice ; &, comme un blessé qui frémit en voyant approcher le chirurgien, il croit déjà sentir sur sa plaie la main douloureuse, mais salutaire, qui l’empêche de tomber en corruption.

Incertain, troublé, pressé de savoir où j’en veux venir, au lieu de répondre, il m’interroge, mais avec crainte. Que faut-il faire ? me dit-il presque en tremblant et sans oser lever les yeux. Ce qu’il faut faire, réponds-je d’un ton ferme, il faut quitter Sophie. Que dites-vous ? s’écrie-t-il avec emportement : quitter Sophie ! la quitter, la tromper, être un traître, un fourbe, un parjure !... Quoi ! reprends-je en l’interrompant, c’est de moi qu’Emile craint d’apprendre à mériter de pareils noms ? Non, continue-t-il avec la même impétuosité, ni de vous ni d’un autre ; je saurai,