Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/398

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tenté d’oublier ce qu’il doit à Sophie, en la lui rappelant telle qu’il la vit au moment de son départ, il faudra qu’il ait le cœur bien aliéné si je ne le ramène pas à elle.

DES VOYAGES

On demande s’il est bon que les jeunes gens voyagent, & l’on dispute beaucoup là-dessus. Si l’on proposoit autrement la question, & qu’on demandât s’il est bon que les hommes aient voyagé, peut-être ne disputeroit pas tant.

L’abus des livres tue la science. Croyant savoir ce qu’on a lu, on se croit dispensé de l’apprendre. Trop de lecture ne sert qu’à faire de présomptueux ignorants. De tous les siècles de littérature, il n’y en a point où l’on lût tant que dans celui-ci, et point où l’on fût moins savant ; de tous les pays de l’Europe, il n’y en a point où l’on imprime tant d’histoires, de relations de voyages qu’en France, & point où l’on connaisse moins le génie & les mœurs des autres nations ! Tant de livres nous font négliger le livre du monde ; ou, si nous y lisons encore, chacun s’en tient à son feuillet. Quand le mot Peut-on être Persan ? me seroit inconnu, je devinerais, à l’entendre dire, qu’il vient du pays où les préjugés nationaux sont le plus en règne, & du sexe qui les propage le plus.

Un Parisien croit connoître les hommes, & ne connaît que les Français ; dans sa ville, toujours pleine d’étrangers,