Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/438

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Les manchettes, me dit-il, que M. John vient de déchirer sont un présent qu’une dame de cette ville lui a fait il n’y a pas longtemps. Or vous saurez que M. John est promis dans son pays à une jeune demoiselle pour laquelle il a beaucoup d’amour, & qui en mérite encore davantage. Cette lettre est de la mère de sa maîtresse, & je vais vous en traduire l’endroit qui a causé le dégât dont vous avez été le témoin.

"Luci ne quitte point les manchettes de lord John. Miss Betti Roldham vint hier passer l’après-midi avec elle, & voulut à toute force travailler à son ouvrage. Sachant que Luci s’étoit levée aujourd’hui plus tôt qu’à l’ordinaire, j’ai voulu voir ce qu’elle faisait, & je l’ai trouvée occupée à défaire tout ce qu’avoit fait hier miss Betti. Elle ne veut pas qu’il y ait dans son présent un seul point d’une autre main que la sienne."

M. John sortit un moment après pour prendre d’autres manchettes, & je dis à son gouverneur : Vous avez un élève d’un excellent naturel ; mais parlez-moi vrai, la lettre de la mère de miss Lucy n’est-elle point arrangée ? N’est-ce point un expédient de votre façon contre la dame aux manchettes ? Non, me dit-il, la chose est réelle ; je n’ai pas mis tant d’art à mes soins ; j’y ai mis de la simplicité, du zèle, & Dieu a béni mon travail.

Le trait de ce jeune homme n’est point sorti de ma mémoire : il n’étoit pas propre à ne rien produire dans la tête d’un rêveur comme moi.

Il est temps de finir. Ramenons lord John à miss Luci,