Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/450

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ne les recouvrent guère. Je reviens à ma recette contre le refroidissement de l’amour dans le mariage.

Elle est simple & facile, reprends-je ; c’est de continuer d’être amants quand on est époux. --En effet, dit Emile en riant du secret, elle ne nous sera pas pénible.

Plus pénible à vous qui parlez que vous ne pensez peut-être. Laissez-moi, je vous prie, le temps de m’expliquer.

Les nœuds qu’on veut trop serrer rompent. Voilà ce qui arrive à celui du mariage quand on veut lui donner plus de force qu’il n’en doit avoir. La fidélité qu’il impose aux deux époux est le plus saint de tous les droits ; mais le pouvoir qu’il donne à chacun des deux sur l’autre est de trop. La contrainte & l’amour vont mal ensemble, & le plaisir ne se commande pas. Ne rougissez point, ô Sophie ! & ne songez pas à fuir. À Dieu ne plaise que je veuille offenser votre modestie ! mais il s’agit du destin de vos jours. Pour un si grand objet, souffrez, entre un époux & un père, des discours que vous ne supporteriez pas ailleurs.

Ce n’est pas tant la possession que l’assujettissement qui rassasie, & l’on garde pour une fille entretenue un bien plus long attachement que pour une femme. Comment a-t-on pu faire un devoir des plus tendres caresses, & un droit des plus doux témoignages de l’amour ? C’est le désir mutuel qui fait le droit, la nature n’en connaît point d’autre. La loi peut restreindre ce droit, mais elle ne saurait l’étendre. La volupté est si douce par elle-même ! doit-elle recevoir de la triste gêne la force qu’elle n’aura pu tirer de ses propres attraits ? Non, mes enfants, dans le mariage les cœurs