Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/452

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la provoque à parler ; on se doute bien qu’elle n’ose me démentir. Emile, inquiet, consulte les yeux de sa jeune épouse ; il les voit, à travers leur embarras, pleins d’un trouble voluptueux qui le rassure contre le risque de la confiance. Il se jette à ses pieds, baise avec transport la main qu’elle lui tend, & jure que, hors la fidélité promise, il renonce à tout autre droit sur elle. Sois, lui dit-il, chère épouse, l’arbitre de mes plaisirs comme tu l’es de mes jours & de ma destinée. Dût ta cruauté me coûter la vie, je te rends mes droits les plus chers. Je ne veux rien devoir à ta complaisance, je veux tout tenir de ton cœur.

Bon Emile, rassure-toi : Sophie est trop généreuse elle-même pour te laisser mourir victime de ta. générosité.

Le soir, prêt à les quitter, je leur dis du ton le plus grave qu’il m’est possible : Souvenez-vous tous deux que vous êtes libres, & qu’il n’est pas ici question des devoirs d’époux ; croyez-moi, point de fausse déférence. Emile, veux-tu venir ? Sophie le permet. Emile, en fureur, voudra me battre. & vous, Sophie, qu’en dites-vous ? faut-il que je l’emmène ? La menteuse, en rougissant, dira que oui. Charmant & doux mensonge, qui vaut mieux que la vérité !

Le lendemain... L’image de la félicité ne flatte plus les hommes : la corruption du vice n’a pas moins dépravé leur goût que leurs cœurs. Ils ne savent plus sentir ce qui est touchant ni voir ce qui est aimable. Vous qui, pour peindre la volupté, n’imaginez jamais que d’heureux amants nageant dans le sein des délices, que vos tableaux sont encore imparfaits ! vous n’en avez que la moitié la plus grossière ; les plus