Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/476

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quelques regards non moins tristes, mais moins farouches, & qui sembloient portés à l’attendrissement. Je pensai que la honte d’un caprice aussi outré l’empêchoit d’en revenir, qu’elle le soutenoit faute de pouvoir l’excuser, & qu’elle n’attendoit peut-être qu’un peu de contrainte pour paroître céder à la force ce qu’elle n’osoit plus accorder de bon gré. Frappé d’une idée qui flattoit mes desirs, je m’y livre avec complaisance : c’est encore un égard que je veux avoir pour elle, de lui sauver l’embarras de se rendre après avoir si long-tems résisté.

Un jour qu’entraîné par mes transports je joignois aux plus tendres supplications les plus ardentes caresses, je la vis émue ; je voulus achever ma victoire. Oppressée & palpitante, elle etoit prête à succomber ; quand tout-à-coup changeant de ton, de maintien, de visage, elle me repousse avec une promptitude, avec une violence incroyable, & me regardant d’un œil que la fureur & le désespoir rendoient effrayant, arrêtez, Emile, me dit-elle, & fachez que je ne vous suis plus rien. Un autre à fouillé votre lit, je suis enceinte ; vous ne me toucherez de ma vie & sur-le-champ elle s’élance avec impétuosité dans son cabinet, dont elle ferme la porte sur elle.

Je demeure écrasé.....

Mon maître, ce n’est pas ici l’histoire des événemens de ma vie ; ils valent peu la peine d’être écrits ; c’est l’histoire de mes passions, de mes sentimens, de mes idées. Je dois m’étendre sur la plus terrible révolution que mon cœur éprouva jamais.

Les grandes plaies du corps & de l’ame ne saignent pas