Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/487

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dédaigner de conserver ma confiance & sa réputation en cachant une saute que rien ne la forçoit d’avouer, en la couvrant des caresses qu’elle à rejettées, & crainte d’usurper ma tendresse de pere pour un enfant qui n’étoit pas de mon sang ? Quelle force n’admirois-je pas dans cette invincible hauteur de courage qui, même au prix de l’honneur & de la vie, ne pouvoit s’abaisser à la fausseté & portoit jusques dans le crime l’intrépide audace de la vertu ? Oui, me disois-je avec un applaudissement secret, au sein même de l’ignominie, cette ame sorte conserve encore tout son ressort ; elle est coupable. sans être vile ; elle à pu commettre un crime, mais non pas une lâcheté.

C’est ainsi que peu-à-peu le penchant de mon cœur me ramenoit en sa faveur à des jugemens plus doux & plus supportables. Sans la justifier je l’excusois ; sans pardonner ses outrages, j’approuvois ses bons procédés. Je me complaisois dans ces sentimens. Je ne pouvoir me défaire de tout mon amour, il eût été trop cruel de le conserver sans estime. Sitôt que je crus lui en devoir encore, je sentis un soulagement inespéré. L’homme est trop foible pour pouvoir conserver : long-tems des mouvements extrêmes. Dans l’excès même du désespoir la Providence nous ménage des consolations. Malgré l’horreur de mon sort, je sentois une sorte de joie à me représenter Sophie estimable & malheureuse ; j’aimois à fonder ainsi l’intérêt que je ne pouvois cesser de prendre à elle. Au lieu de la seche douleur qui me consumoit auparavant, j’avois la douceur de m’attendrir jusqù’aux larmes. Elle est perdue à jamais pour moi,,je le sais, me disois-je ; mais du moins