Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/498

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de personne ? car si tant d’instrumens préparés pour le n’avoient fait que ma misere, pouvois-je espérer d’être heureux pour autrui que vous ne l’aviez été pour moi ? Non, j’aimois mon devoir encore, mais je ne le voyois plus. En rappeller les principes & les regles, les appliquer à mon nouvel état, n’étoit pas l’affaire d’un moment, & mon esprit fatigué avoit besoin d’un peu de. relâché pour se livrer à de nouvelles méditations.

J’avois fait un grand pas vers le repos. Délivré de l’inquiétude de l’espérance, & sûr de perdre ainsi peu-à-peu celle du desir, en voyant que le passé ne m’étoit plus rien, je tâchois de me mettre tout-à-fait dans l’état d’un homme qui commence à vivre. Je me disois qu’en effet nous ne faisons jamais que commencer, & qu’il n’y à point d’autre liaison dans notre existence qu’une succession de momens présens, dont le premier est toujours celui qui est en acte. Nous mourons & nous naissons chaque instant de notre vie, & quel intérêt la mort peut-elle nous laisser ? S’il n’y à rien pour nous que ce qui sera, nous ne pouvons être heureux ou malheureux que par l’avenir, & se tourmenter du passe c’est tirer du néant les sujets de notre misere. Emile, sois un homme nouveau, tu d’auras pas plus à te plaindre du sort que de la nature. Tes malheurs font nuls, l’abyme du néant les à tous engloutis ; mais ce qui est réel, ce est existant pour toi, c’est ta vie, ta santé, ta jeunesse, ta raison, tes talens, tes lumieres, tes vertus, enfin, si tu le veux, & par conséquent ton bonheur.

Je repris mon travail, attendant paisiblement que mes idées