Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/510

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que je n’inquiétois personne, que je ne me lamentois point, on me prévenoit par des soins qu’on m’eût refusés peut-être si je les eusse implorés.

J’ai cent sois observé que plus on veut exiger des autres, plus on les dispose au refus ; ils aiment agir librement, & quand ils sont tant que d’être bons, ils veulent en avoir tout le mérite. Demander un bienfait c’est y acquérir une espece de droit, l’accorder est presque un devoir, & l’amour-propre aime mieux faire un don gratuit que paye une dette.

Dans ces pélerinages, qu’on eût blâmés dans le monde comme la vie d’un vagabond, parce que je ne les faisois pas avec le faste d’un voyageur opulent, si quelquefois je me demandois ; que fais-je ? où vais-je ? quel est mon but ? Je me répondois ; qu’ai-je fait en naissant que commencer un voyage qui ne doit finir qu’à ma mort ? Je sais ma tâche, je reste à ma place, j’use avec innocence & simplicité cette courte vie, je fais toujours un grand bien par le mal que je ne sais pas parmi mes semblables, je pourvois à mes besoins en pourvoyant aux leurs, je les sers sans jamais leur nuire, je leur donne l’exemple d’être heureux & bons sans soins & sans peine : j’ai répudié mon patrimoine, & je vis ; je ne sais rien d’injuste, & je vis ; je ne demande point l’aumône & je vis. Je suis donc utile aux autres en proportion de ma subsistance : car les hommes ne donnent rien, pour rien.

Comme je n’entreprends pas l’histoire de mes voyages, je passe tout ce qui n’est qu’événement. J’arrive à Marseille :