Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/520

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

me refuser dès demain à tout travail au péril de ma vie, & de tous les traitenmens que doit m’attirer ce refus. Mon choix est une affaire de calcul. Si je reste comme je suis, il faut périr infailliblement en très-peu de ce tems & sans aucune ressource ; je m’en ménage une par ce sacrifice de peu de jours. Le parti que je prends peut effrayer notre inspecteur & éclairer son maître sur son véritable intérêt. Si cela n’arrive pas, mon fort quoiqu’accéleré ne sauroit être empiré. Cette ressource seroit tardive & nulle quand mon corps épuisé ne seroit plus capable d’aucun travail, alors en me ménageant ils n’auroient rien à gagner, en m’achevant ils ne seroient qu’épargner ma nourriture. Il me convient donc de choisir le moment où ma perte en est encore une pour eux. Si quelqu’un d’entre vous trouve mes raisons bonnes, & veut, à l’exemple de cet homme de courage prendre le même parti que moi, notre nombre sera plus d’effet & rendra nos tyrans plus traitables. Mais fussions-nous seuls lui & moi, nous n’en sommes pas moins résolus à persister dans notre refus, & nous vous prenons tous à témoins de la façon dont il sera soutenu.

Ce discours simple & simplement prononcé, fut écouté sans beaucoup d’émotion. Quatre ou cinq de la troupe me dirent cependant de compter sur eux & qu’ils feroient comme moi. Les autres ne dirent mot & tout resta calme. Le chevalier mécontent de cette tranquillité parla aux siens dans sa langue avec plus de véhémence, leur nombre étoit grand, il leur fit à haute voix des descriptions animées de l’état où nous étions réduits & de la cruauté de nos bourreaux. Il excita leur indignation par la peinture de notre avilissement, & leur