Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/17

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on m’annonçoit une lettre de cachet. Le bien & le mal couloient à-peu-près de la même source ; le tout me venoit pour des chansons.

J’ai écrit sur divers sujets, mais toujours dans les mêmes principes : toujours la même morale, la même croyance, les mêmes maximes, &, si l’on veut, les mêmes opinions. Cependant on a porté des jugemens opposés de mes livres, ou plutôt, de l’Auteur de mes livres ; parce qu’on m’a jugé sur les matieres que j’ai traitées, bien plus que sur mes sentimens. Après mon premier discours, j’étois un homme à paradoxes, qui se faisoit un jeu de prouver ce qu’il ne pensoit pas : après ma lettre sur la Musique françoise, j’étois l’ennemi déclaré de la Nation ; il s’en faloit peu qu’on ne m’y traitât en conspirateur ; on eût dit que le sort de la Monarchie étoit attaché à la gloire de l’Opéra : après mon Discours sur l’inégalité, j’étois athée & misanthrope : après la lettre à M. D’Alembert, j’étois le défenseur de la morale chrétienne : après l’Héloïse, j’étois tendre & doucereux ; maintenant je suis un impie ; bientôt peut-être serai-je un dévot.

Ainsi va flottant le sot public sur mon compte, sachant aussi peu pourquoi il m’abhorre, que pourquoi il m’aimoit auparavant. Pour moi, je suis toujours demeuré le même ; plus ardent qu’éclairé dans mes recherches, mais sincere en tout, même contre moi ; simple & bon, mais sensible & foible ; faisant souvent le mal & toujours aimant le bien ; lié par l’amitié, jamais par les choses, & tenant plus à mes sentimens qu’à mes intérêts ; n’exigeant rien des hommes &