Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/21

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à personne. Mais l’Athée Spinoza enseignoit paisiblement sa doctrine ; il faisoit sans obstacle imprimer ses Livres, on les débitoit publiquement ; il vint en France, & il y fut bien reçu ; tous les États lui étoient ouverts, par-tout il trouvoit protection ou du moins sûreté ; les Princes lui rendoient des honneurs, lui offroient des chaires ; il vécut & mourut tranquille, & même considéré. Aujourd’hui, dans le siecle tant célébré de la philosophie, de la raison, de l’humanité ; pour avoir proposé avec circonspection, même avec respect & pour l’amour du genre humain, quelques doutes fondés sur la gloire même de l’Etre suprême, le défenseur de la cause de Dieu, flétri, proscrit, poursuivi d’État en État, d’asyle en asyle, sans égard pour son indigence, sans pitié pour ses infirmités, avec un acharnement que n’éprouva jamais aucun malfaiteur & qui seroit barbare, même contre un homme en santé, se voit interdire le feu & l’eau dans l’Europe presque entiere ; on le chasse du milieu des bois ; il faut toute la fermeté d’un Protecteur illustre & toute la bonté d’un Prince éclairé pour le laisser en paix au sein des montagnes. Il eût passé le reste de ses malheureux jours dans les fers, il eût péri, peut-être, dans les supplices, si, durant le premier vertige qui gagnoit les Gouvernemens, il se fût trouvé à la merci de ceux qui l’ont persécuté.

Echappé aux bourreaux il tombe dans les mains des Prêtres ; ce n’est pas là ce que je donne pour étonnant : mais un homme vertueux qui a l’ame aussi noble que la naissance, un illustre Archevêque qui devroit réprimer leur lâcheté, l’autorise ; il n’a pas honte, lui qui devroit plaindre les opprimés, d’en