Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/281

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ne les vouloir point séparer ; elle veut qu’on ne juge l’ouvrage, qui ne peut répondre, qu’apres avoir oui l’Auteur qui répond pour lui. Ainsi, bien que condamner un Livre anonyme, soit en effet ne condamner que le Livre, condamner un Livre qui porte le nom de l’Auteur, c’est condamner l’Auteur même ; & quand on ne l’a point mis à portée de répondre, c’est le juger sans l’avoir entendu.

L’assignation préliminaire, même, si l’on veut, le décret de prise de corps, est donc indispensable en pareil cas avant de procéder au jugement du Livre : & vainement diroit-on, avec l’Auteur des Lettres, que le délit est évident, qu’il est dans le Livre même, cela ne dispense point de suivre la forme judiciaire qu’on suit dans les plus grands crimes, dans les plus avérés, dans les mieux prouvés. Car quand toute la Ville auroit vu un homme en assassiner un autre, encore ne jugeroit-on point l’assassin sans l’entendre, ou sans l’avoir mis à portée d’être entendu.

Et pourquoi cette franchise d’un Auteur qui se nomme, tourneroit-elle ainsi contre lui ? Ne doit-elle pas, au contraire, lui mériter des égards ? Ne doit-elle pas imposer aux Juges plus de circonspection que s’il ne se fût pas nommé ? Pourquoi, quand il traite des questions hardies, s’exposeroit-il ainsi, s’il ne se sentoit rassuré contre les dangers par des raisons qu’il petit alléguer en sa faveur, & qu’on petit présumer, sur sa conduite même, valoir la peine d’être entendues ? L’Auteur des Lettres aura beau qualifier cette conduite d’imprudence & de mal-adresse, elle n’en est pas moins celle d’un homme d’honneur, qui voit son devoir où d’autres