Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/31

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en mentez) vous éclaircissez par ce systême le mystere de notre cœur, mais je vois que vous obscurcissez beaucoup la justice & la bonté de l’Etre suprême. Si vous levez une objection, c’est pour en substituer de cent fois plus fortes.

Mais au fond que fait cette doctrine à l’Auteur d’Emile ? Quoiqu’il ait cru son livre utile au genre humain, c’est à des Chrétiens qu’il l’a destiné ; c’est à des hommes lavés du péché originel & de ses effets, du moins quant à l’ame, par le Sacrement établi pour cela. Selon cette même doctrine, nous avons tous dans notre enfance recouvré l’innocence primitive ; nous sommes tous sortis du baptême aussi sains de cœur qu’Adam sortit de la main de Dieu. Nous avons, direz-vous, contracté de nouvelles souillures : mais puisque nous avons commencé par en être délivrés, comment les avons-nous derechef contractées ? le sang de Christ n’est-il donc pas encore assez fort pour effacer entiérement la tache, ou bien seroit-elle un effet de la corruption naturelle de notre chair ; comme si, même indépendamment du péché originel, Dieu nous eût créés corrompus, tout exprès pour avoir le plaisir de nous punir ? Vous attribuez au péché originel les vices des peuples que vous avouez avoir été délivrés du péché originel ; puis vous me blâmez d’avoir donné une autre origine à ces vices. Est-il juste de me faire un crime de n’avoir pas aussi mal raisonné que vous ?

On pourroit, il est vrai, me dire que ces effets que j’attribue au baptême*

[*Si l’on disoit, avec le Docteur Thomas Burnet, que la corruption & la mortalité de la race humaine, suite du peche d’Adam, fut un effet naturel du fruit défendu ; que cet aliment contenoit des sucs venimeux qui dérangerent toute l’économie animale, qui irriterent les passions, qui affoiblirent l’entendement, & qui porterent par-tout les principes du vice & de la mort : alors il faudroit convenir que la nature du remedé devant, se rapporter à celle du mal, le baptême devroit agir physiquement sur le corps de l’homme, lui rendre la constitution qu’il avoit dans l’Etat d’innocence, &, sinon l’immortalité qui en dépendoit, du moins tous les effets moraux de l’économie animale rétablie.] ne paroissent par nul signe extérieur ;