Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/390

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traite, abstrait & généralise sans crainte ; il ne s’appesantit pas sur les détails élémentaires. Si je parlois à vous seul, je pourrois user de cette méthode ; mais le sujet de ces Lettres intéresse un Peuple entier, composé, dans son plus grand nombre d’hommes qui ont plus de sens & de jugement que de lecture & d’étude, & qui, pour n’avoir pas le jargon scientifiques, n’en sont que plus propres à saisir le vrai dans toute sa simplicité. Il faut opter en pareil cas entre l’intérêt de l’Auteur & celui des Lecteurs, & qui veut se rendre plus utile doit se résoudre à être moins éblouissant.

Une autre source d’erreurs & de fausses applications, est d’avoir laissé les idées de ce droit négatif trop vagues, trop inexactes ; ce qui sert à citer avec un air de preuve les exemples qui s’y rapportent le moins, à détourner vos Concitoyens de leur objet par la pompe de ceux qu’on leur présente, à soulever leur orgueil contre leur raison, & à les consoler doucement de n’être pas plus libres que les maîtres du monde. On fouille avec érudition dans l’obscurité des siècles, on vous promène avec faste chez les Peuples de l’antiquité. On vous étale successivement Athènes, Sparte, Rome, Carthage ; on vous jette aux yeux le sable de la Libie, pour vous empêcher de voir ce qui se passe autour de vous.

Qu’on fixe avec précision, comme j’ai tâché de faire, ce droit négatif, tel que prétend l’exercer le Conseil, & je soutiens qu’il n’y eut jamais un seul Gouvernement sur la terre où le Législateur, enchaîné de toutes manières par le corps exécutif, après avoir livré les Loix sans réserve à sa merci, fût réduit à les lui voir expliquer, éluder, transgresser à volonté,