Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/397

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Supposons qu’à Londres j’eusse eu le malheur de déplaire à la Cour, que sans justice & sans raison elle eût saisi le prétexte d’un de mes Livres pour le faire brûler & me décréter : j’aurois présenté requête au Parlement comme ayant été jugé contre les Loix ; je l’aurois prouvé, j’aurois obtenu la satisfaction la plus authentique, & le Juge eût été puni, peut-être cassé.

Transportons maintenant M. Wilkes à Geneve, disant, écrivant, imprimant, publiant contre le petit Conseil le quart de ce qu’il a dit, écrit, imprimé, publié hautement à Londres contre le Gouvernement, la Cour, le Prince. Je n’affirmerai pas absolument qu’on l’eût fait mourir, quoique je le pense ; mais sûrement il eût été saisi dans l’instant même, & dans peu très-griévement puni.*

[* La Loi mettant M. Wilkes à couvert de ce côté, il a falu, pour l’inquiéter, prendre un autre tour, & c’est encore la Religion qu’on a fait intervenir dans cette affaire.]

On dira que M. Wilkes étoit membre du Corps législatif dans son Pays ; & moi, ne l’étois-je pas aussi dans le mien ? Il est vrai que l’Auteur des Lettres veut qu’on n’ait aucun égard à la qualité de Citoyen. Les règles, dit-il, de la procédure sont & doivent être égales pour tous les hommes : elles ne dérivent pas du droit de la Cité ; elles émanent du droit de l’humanité.*

[* Page 54.]

Heureusement pour vous, le fait n’est pas vrai ;*

[* Le droit de recours à la grâce n’appartenoit par l’Edit qu’aux Citoyens & Bourgeois ; mais par leurs bons offices ce droit & d’autres furent communiqués aux Natifs & Habitans, qui, ayant fait cause commune avec eux, avoient besoin des mêmes précautions pour leur sûreté ; les étrangers en sont demeurés exclus. L’on sent aussi que le choix de quatre parens ou amis, pour assister le prévenu dans un procès criminel, n’est pas fort utile à ces derniers ; il ne l’est qu’à ceux que le Magistrat peut avoir intérêt de perdre, & à qui la Loi donne leur ennemi naturel pour Juge. Il est étonnant même qu’après tant d’exemples effrayans les Citoyens & Bourgeois n’aient pas pris plus de mesures pour la sûreté de leurs personnes, & que toute la matière criminelle reste, sans Edits & sans Loix, presque abandonnée à la discrétion du Conseil. Un service pour lequel seul les Genevois & tous les hommes justes doivent bénir à jamais les Médiateurs, est l’abolition de la question préparatoire. J’ai toujours sur les lèvres un rire amer quand je vois tant de beaux Livres, où les Européens s’admirent & se font compliment sur leur humanité, sortir des mêmes Pays où l’on s’amuse à disloquer & briser les membres des hommes, en attendant qu’on sache s’ils sont coupables ou non. Je définis la torture, un moyen presque infaillible employé par le fort pour charger le foible des crimes dont il le veut punir.] & quant