Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/404

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élevés qu’on vous présente pour vous cacher l’abyme qu’on creuse au-devant de vous. Vous n’êtes ni Romains, ni Spartiates, vous n’êtes pas même Athéniens. Laissez là ces grands noms qui ne vous vont point. Vous êtes des Marchands, des Artisans, des Bourgeois, toujours occupés de leurs intérêts privés, de leur travail, de leur trafic, de leur gain ; des gens pour qui la liberté même n’est qu’un moyen d’acquérir sans obstacle & de posséder en sûreté.

Cette situation demande pour vous des maximes particulières. N’étant pas oisifs comme étoient les anciens Peuples, vous ne pouvez comme eux vous occuper sans cesse du Gouvernement : mais par cela même que vous pouvez moins y veiller de suite, il doit être institué de manière qu’il vous soit plus aisé d’en voir les manœuvres & de pourvoir aux abus. Tout soin public que votre intérêt exige, doit vous être rendu d’autant plus facile à remplir, que c’est un soin qui vous coûte & que vous ne prenez pas volontiers. Car vouloir vous en décharger tout-à-fait, c’est vouloir cesser d’être libres. Il faut opter, dit le Philosophe bienfaisant, & ceux qui ne peuvent supporter le travail, n’ont qu’à chercher le repos dans la servitude.

Un Peuple inquiet, désœuvré, remuant, &, faute d’affaires particulières, toujours prêt à se mêler de celles de l’Etat, a besoin d’être contenu, je le sais ; mais encore un coup, la Bourgeoisie de Geneve est-elle ce Peuple-là ? Rien n’y ressemble moins ; elle en est l’antipode. Vos Citoyens, tout absorbés dans leurs occupations domestiques & toujours froids sur le reste, ne songent à l’intérêt public que quand le leur