Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/450

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moins, si je me trompe dans mon sentiment, cette erreur ne peut nuire à personne.

Au premier coup-d’œil jetté sur ces institutions, je vois d’abord qu’un Spectacle est un amusement ; & s’il est vrai qu’il faille des amusemens à l’homme, vous conviendrez au moins qu’ils ne sont permis qu’autant qu’ils sont nécessaires, & que tout amusement inutile est un mal, pour un être dont la vie est si courte & le tems si précieux. L’état d’homme a ses plaisirs, qui dérivent de sa nature, & naissent de ses travaux, de ses rapports, de ses besoins ; & ces plaisirs, d’autant plus doux que celui qui les goûte à l’ame plus saine, rendent quiconque en sait jouir peu sensible à tous les autres. Un Pere, un Fils, un Mari, un Citoyen, ont des devoirs si chers à remplir, qu’ils ne leur laissent rien à dérober à l’ennui. Le bon emploi du tems rend le tems plus précieux encore, & mieux on le met à profit, moins on en fait trouver à perdre, Aussi voit-on constamment que l’habitude du travail rend l’inaction insupportable, & qu’une bonne conscience éteint le goût des plaisirs frivoles : mais c’est le mécontentement de soi-même, c’est le poids de l’oisiveté, c’est l’oubli des goûts simples & naturels, qui rendent si nécessaire un amusement étranger. Je n’aime point qu’on ait besoin d’attacher incessamment son cœur sur la Scene, comme s’il étoit mal à son aise au-dedans de nous. La nature même a dicté la réponse de ce Barbare (b) à qui l’on vantoit les magnificences du Cirque & des Jeux établis à Rome. Les Romains, demande ce bon-homme n’ont- ils à Rome. Les Romains, demanda ce bon-homme, n’ont-ils ni femmes, ni enfans ?

[(b) Chrysost. in Matth. Homel. 38.]