Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/460

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prévaloir. L’amour du beau[1] est un sentiment aussi naturel au cœur humain que l’amour de soi-même ; il n’y naît point d’un arrangement de scenes ; l’Auteur ne l’y porte pas, il l’y trouve ; & de ce pur sentiment qu’il flatte naissent les douces larmes qu’il fait couler.

Imaginez la Comédie aussi parfaite qu’il vous plaira. Où est celui qui, s’y rendant pour la premiere fois, n’y va déjà convaincu de ce qu’on y prouve, & déjà prévenu pour ceux qu’on y fait aimer ? Mais ce n’est pas de cela qu’il est question ; c’est d’agir conséquemment à ses principes & d’imiter les gens qu’on estime. Le cœur de l’homme est toujours droit sur tout ce qui ne se rapporte pas personnellement à lui. Dans les querelles dont nous sommes purement Spectateurs, nous prenons à l’instant le parti de la justice, & il n'y a point d’acte de méchanceté qui ne nous donne une vive indignation, tant que nous n’en tirons aucun profit : mais quand notre intérêt s’y mêle, bientôt nos sentimens se corrompent ; & c’est alors seulement que nous préférons le mal qui nous est utile, au bien que nous fait aimer la nature. N’est-ce pas un effet nécessaire de la constitution des choses, que le méchant tire un double avantage de son injustice, & de la probité d’autrui ? Quel traité plus avantageux pourroit-il faire, que d’obliger le monde entier d’être

  1. C’est du beau moral qu’il est ici question. Quoiqu’en disent les Philosophes, cet amour est inné dans l’homme, & sert de principe à la conscience. Je puis citer en exemple de cela, la petite piece de Nanine qui à fait murmurer l’assemblée & s’est soutenue que par la grande réputation de l’Auteur, & cela parce que l’honneur, la vertu, les purs sentimens de la nature y sont préférés à l’impertinent préjugé des conditions.