Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/484

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caracteres. Je veux dire qu’il faloit que le Misanthrope fut toujours furieux contre les vices publics, & toujours tranquille sur les méchancetés personnelles dont il étoit la victime. Au contraire, le philosophe Philinte devoit voir tous les désordres de la Société avec un flegme StoÏque, & se mettre en fureur au moindre mal qui s’adressoit directement à lui. En effet, j’observe que ces gens, si paisibles sur les injustices publiques, sont toujours ceux qui font le plus moindre tort qu’on leur fait, & qu’ils ne gardent leur philosophie qu’aussi long-tems qu’ils n’en ont pas besoin eux-mêmes. Ils ressemblent à cet Irlandois qui ne vouloit pas sortir de son lit, quoique le feu fut à la maison. La maison brûle, lui crioit-on. Que m’importe ? réponde-il, je n’en fuis que le locataire. À la fin le feu pénétra jusqu’a lui. Aussi-tôt il s’élance, il court, il crie, il s’agite ; il commence a comprendre qu’il faut quelquefois prendre intérêt à la maison qu’on habite, quoiqu’elle ne nous appartienne pas.

Il me semble qu’en traitant les caracteres en question sur cette idée, chacun des deux eut été plus vrai, plus théâtral, & que celui d’Alceste eut fait incomparablement plus d’effet ; mais le Parterre alors n’auroit pu rire qu’aux dépens de l’homme du monde, & l’intention de l’Auteur étoit qu’on rit aux dépens du Misanthrope.*

[* Je ne doute point que, sur l’idée que je viens de proposer, un homme de génie ne put faire un nouveaux Misanthrope, non moins vrai, non moins naturel que l’Athénien, égal en mérite à celui de Moliere, & sans comparaison plus instructif. Je ne vois qu’un inconvénient à cette nouvelle Piece, c’est qu’il seroit impossible qu’elle réussit : car, quoiqu’on dise, en choses qui déshonorent, nul ne rit de bon cœur à ses dépens. Nous voilà rentres dans mes principes.]