Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/544

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L’argument tire de l’exemple des bêtes ne conclut point, & n’est pas vrai. L’homme n’est point un chien ni un loup. Il ne faut qu’établir dans son espece les premiers rapports de la Société pour donner à ses sentimens une moralité toujours inconnue aux bêtes. Les animaux ont un cœur & des passions ; mais la sainte image de l’honnête & du beau n’entra jamais que dans le cœur de l’homme.

Malgré cela, où a-t-on pris que l’instinct ne produit jamais dans les animaux des effets semblables à ceux que la honte produit parmi les hommes ? Je vois tous les jours des preuves du contraire. J’en vois se cacher dans certains besoins, pour dérober aux sens un objet de dégoût ; je les vois ensuite, au lieu de fuir, s’empresser d’en couvrir les vestiges. Que manque-t-il à ces soins pour avoir un air de décence & d’honnêteté, sinon d’être pris par des hommes ? Dans leurs amours, je vois des caprices, des choix, des refus concertes, qui tiennent de bien près à la maxime d’irriter la passion par des obstacles. À l’infant même où j’écris ceci, j’ai fous les yeux un exemple qui le confirme. Deux jeunes pigeons, dans l’heureux tems de leurs premieres amours, m’offrent un tableau bien différent de la sotte brutalité que leur prêtent nos prétendus sages. La blanche colombe va suivant pas à pas son bien-aime, & prend chasse elle - même aussi-tôt qu’il se retourne. Reste-t-il dans l’inaction ? De légers coups de bec le réveillent ; s’il se retire, on le poursuit ; s’il se défend, un petit vol de six pas l’attire encore ; l’innocence de la Nature ménage les agaceries & la molle résistance, avec un art qu’auroit à peine la plus habile coquette. Non, la folâtre Galatée