Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/570

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s’accusoient publiquement par zele, pour la justice ; mais quand Rome fut corrompue & qu’il ne resta plus rien à faire pour les bonnes mœurs que de cacher les mauvaises, la haine des vices qui les démasque en devint un. Aux citoyens zèles succederent des délateurs infames, & au lieu qu’autrefois les bons accusoient les mechans, ils en furent accuses à leur tour. Grace au Ciel, nous sommes loin d’un terme si funeste. Nous ne sommes point réduits à nous cacher à nos propres yeux, de peur de nous faire horreur. Pour moi, je n’en aurai pas meilleure opinion des femmes, quand elles seront plus circonspectes : on se ménagera davantage, quand on aura plus de raisons de se ménager, & quand chacune aura besoin pour elle-même de la discrétion dont elle donnera l’exemple aux autres.

Qu’on ne s’alarme donc point tant du caquet des sociétés de femmes : Qu’elles médisent tant qu’elles voudront, pourvu qu’elles médisent entr’elles. Des femmes véritablement corrompues ne sauroient supporter long-tems cette maniere de vivre, & quelque chere que leur put être la médisance, elles voudroient médire avec des hommes. Quoiqu’on m’ait pu dire à cet égard, je n’ai jamais vu aucune de ces sociétés, sans un secret mouvement d’estime & de respect pour celles qui la composoient. Telle est me disois-je, la destination de la Nature, qui donne différens goûts aux deux sexes, afin qu’ils vivent sépares & chacun a sa maniere.*

[* Ce principe, auquel tiennent toutes bonnes mœurs, est développé d’une maniere plus claire & plus étendue dans Manuscrit dont je suis dépositaire & que je me propose de publier, s’il me reste assez de tems pour cela, quoique cette annoncée ne soit gueres propre à lui concilier d’avance la faveur des Dames.

On comprendra facilement que le Manuscrit dont je parlois dans cette note, étoit celui de la Nouvelle Heloise, qui parut deux ans après cet Ouvrage.] Ces