Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/602

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d’humeur, de goût, de caractere seroient un peu plus consultées ; on donneroit moins à celles d’etat & de biens qui font des nœuds mal assortis, quand on les suit aux dépens des autres. Les 1iaisons devenant plus faciles, les mariages seroient plus fréquens ; ces mariages, moins circonscrits pas les mêmes conditions, previendroient les partis, tempererpoient l’excessive inégalité, maintiendroient mieux le corps du Peuple dans l’esprit de sa constitution ; ces bals ainsi diriges ressembleroient moins à un spectacle public qu’a l’assemblée d’une grande famille, & du sein de la joie & des plaisirs naîtroient la conservation, la concorde, & la prospérité de la République.*

[* Il me paroit plaisant d’imaginer quelquefois les jugemens que plusieurs porteront de mes goûts sur mes ecrits. Sur celui-ci l’on ne manquera pas de dire : cet homme est fou de la danse, je m’ennuie à voir danser : il ne peut souffrir la Comédie ; j’aime la comédie à la passion : il a de l’aversion pour les femmes, je ne serai que trop bien justifie la-dessus : il est mécontent des Comédiens, j’ai tout sujet de m’en louer & l’amitié du seul d’entr’eux que j’ai connu particulièrement ne peut qu’honorez un honnête-homme. Même jugement sur les Poetes dont je suis force de censurer les Pieces : ceux qui sont morts ne seront pas de mon goût, & je serai pique contre les vivans. La vérité est que Racine me charme & que je n’ai jamais manque volontairement une représentation de Moliere. Si j’ai moins parle de Corneille, c’est qu’ayant peu fréquente ses Pieces & manquant de livres, il ne m’est pas assez reste dans la mémoire pour le citer. Quant à l’Auteur d’Atrée & de Catilina, je ne l’ai jamais vu qu’une fois & ce fut pour en recevoir un service. J’estime son génie & respecte sa vieillesse ; mais, quelque honneur que je porte à sa personne, je ne dois que justice à ses Pieces, & je ne sais point acquitter mes dettes aux dépens du bien public & de la vérité. Si mes ecrits m’inspirent quelque fierté, c’est par la pureté d’intention qui les dicte, c’est par un désintéressement dont peu d’auteurs m’ont donne l’exemple, & que fort peu voudront imiter. Jamais vue particuliere ne fouilla le désir d’être utile aux autres qui m’a mis la plume à la main, & j’ai presque toujours écrit contre mon propre intérêt. Vitam impendere vero : voilà la devise que j’ai choisie & dont je me sens digne. Lecteurs, je puis me tromper moi-même, mais non pas vous tromper volontairement ; craignez mes erreurs & non ma mauvaise sui. L’amour du bien public est la feule passion qui me fait parler au public ; je sais alors m’oublier moi-même, &, si quelqu’un m’offense, je me tais sur son compte de peur que la colère ne me rende injuste. Cette maxime est bonne à mes ennemis, en ce qu’ils me nuisent à leur aise & sans crainte de représailles aux Lecteurs qui ne craignent pas que ma haine leur en impose, & surtout à moi qui, restant en paix tandis qu’on m’outrage, n’ai du moins que le mal qu’on me fait & non celui. que j’éprouverois encore à le rendre. Sainte & pure vérité à qui j’ai consacre ma vie, non jamais mes passions ne souilleront le sincere amour que j’ai pour toi ; l’intérêt ni la crainte ne sauroient altérer l’hommage que j’aime à t’offrir, & ma plume ne te refusera jamais rien que ce qu’elle craint d’accorder à la vengeance !]

Sur ces idées, il seroit aise d’établir à peu de frais & sans danger, plus de spectacles qu’il n’en faudroit pour rendre le