Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/627

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vices, la politique & la morale, les loix divines & humaines, & qu’il doit avoir la science de toutes les choses qu’il traite, ou qu’il ne sera jamais rien de bon. Cherchons donc si ceux qui relevent la Poésie à ce point de sublimité ne s’en laissent point imposer aussi par l’art imitateur des Poetes ; si leur admiration pour ces immortels ouvrages ne les empêche point de voir combien ils sont loin du vrai, de sentir que ce sont des couleurs sans consistance, de vains fantômes, des ombres ; & que, pour tracer de pareilles images, il n’y a rien de moins nécessaire que la connoissance de la vérité : ou bien, s’il y a dans tout cela quelque utilité réelle, & si les Poetes savent en effet cette multitude de choses dans le Vulgaire trouve qu’ils parlent si bien.

Dites - moi, mes amis, si quelqu’un pouvoit avoir à son choix le portrait de sa maîtresse ou l’original, lequel penseriez - vous qu’il choisît ? Si quelque Artiste pouvoit faire également la chose imitée ou son simulacre, donneroit-il la préférence au dernier, en objets de quelque paix, & se contenteroit-il d’une maison en peinture, quand il pourroit s’en faire une en effet ? Si donc l’Auteur tragique savoit réellement les choses qu’il prétend peindre, qu’il eût les qualités qu’il décrit, qu’il fût faire lui-même tout ce qu’il fait faire à ses personnages, n’exerceroit-il pas leurs talens ? Ne pratiqueroit-il pas leurs vertus ? N’éleveroit - il pas des monumens à sa gloire plutôt qu’à la leur ? Et n’aimeroit-il pas mieux faire lui-même des actions louables, que se borner à louer celles d’autrui ? Certainement le mérite en seroit tout autre ; & il n’y a pas de raison pourquoi, pouvant le plus, il se borneroit au moins.