Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/74

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hommes sans préjugés, nos connaissances resteraient plus bornées mais plus sûres, & la raison régnerait toujours. Or, quoi qu’on fasse, l’intérêt des hommes publics sera toujours le même, mais les préjugés du peuple n’ayant aucune base fixe, sont plus variables ; ils peuvent être altérés, changés, augmentés ou diminués. C’est donc de ce côté seul que l’instruction peut avoir quelque prise, & c’est là que doit tendre l’ami de la vérité. Il peut espérer de rendre le peuple plus raisonnable, mais non ceux qui le mènent plus honnêtes gens.

J’ai vu dans la Religion la même fausseté que dans la politique, & j’en ai été beaucoup plus indigné : car le vice du Gouvernement ne peut rendre les sujets malheureux que sur la terre ; mais qui sait jusqu’où les erreurs de la conscience peuvent nuire aux infortunés mortels ? J’ai vu qu’on avait des professions de foi, des doctrines, des cultes qu’on suivait sans y croire, & que rien de tout cela ne pénétrant ni le cœur ni la raison, n’influait que très-peu sur la conduite. Monseigneur, il faut vous parler sans détour. Le vrai Croyant ne peut s’accommoder de toutes ces simagrées : il sent que l’homme est un être intelligent auquel il faut un culte raisonnable, & un être sociable auquel il faut une morale faite pour l’humanité. Trouvons premièrement ce culte & cette morale ; cela sera de tous les hommes : & puis quand il faudra des formules nationales, nous en examinerons les fondements, les rapports, les convenances ; & après avoir dit ce qui est de l’homme, nous dirons ensuite ce qui est du Citoyen. Ne faisons pas, surtout, comme votre Monsieur Joly de Fleury, qui, pour établir son Jansénisme, veut déraciner toute loi