Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/96

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raisonnables, & chacun voudroit suppléer à force de confiance à l’autorité que la raison refuse à son parti. Ainsi, d’accord au fond sur tout ce qui nous intéresse, & dont on ne tient aucun compte, on passe la vie à disputer, à chicaner, à tourmenter, à persécuter, à se battre, pour les choses qu’on entend le moins, & qu’il est le moins nécessaire d’entendre. On entasse en vain décisions sur décisions ; on plâtre en vain leurs contradictions d’un jargon inintelligible ; on trouve chaque jour de nouvelles questions à résoudre, chaque jour de nouveaux sujets de querelles ; parce que chaque doctrine a des branches infinies, & que chacun, entêté de sa petite idée, croit essentiel ce qui ne l’est point, & néglige l’essentiel véritable. Que si on leur propose des objections qu’ils ne peuvent résoudre, ce qui, vu l’échafaudage de leurs doctrines, devient plus facile de jour en jour, ils se dépitent comme des enfans, & parce qu’ils sont plus attachés à leur parti qu’à la vérité, & qu’ils ont plus d’orgueil que de bonne foi, c’est sur ce qu’ils peuvent le moins prouver qu’ils pardonnent le moins quelque doute.

Ma propre histoire caractérise mieux qu’aucune autre le jugement qu’on doit porter des Chrétiens d’aujourd’hui : mais comme elle en dit trop pour être crue, peut-être un jour fera-t-elle porter un jugement tout contraire ; un jour peut-être, ce qui fait aujourd’hui l’opprobre de mes contemporains, fera leur gloire, & les simples qui liront mon Livre, diront avec admiration : quels tems angéliques ce devoient être que ceux où un tel livre a été brulé comme impie, & son auteur poursuivi comme un malfaiteur ! sans doute alors tous les