Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t7.djvu/133

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vices. La vertu n’est donc pas incompatible avec l’ignorance.

Elle n’est pas non plus toujours sa compagne : car plusieurs peuples très-ignorans etoient très-vicieux. L’ignorance n’est un obstacle ni au bien ni au mal ; elle est seulement l’etat naturel de l’homme.*

[* Je ne puis m’empêcher de rire en voyant je ne sais combien de fort savans hommes qui m’honorent de leur critique, m’opposer toujours les vices d’une multitude de Peuples ignorans, comme si cela faisoit quelque chose à la question. De ce que la science engendre nécessairement le vice, s’ensuit-il que l’ignorance engendre nécessairement la vertu ? Ces manieurs d’argumenter peuvent être bonnes pour des Rhéteurs, ou pour les enfans par lesquels on m’a fait réfuter dans mon pays ; mais les Philosophes doivent raisonner d’autre forte.]

On n’en pourra pas dire autant de la science. Tous peuples savans ont été corrompus, & c’est déjà un terrible préjugé contre elle. Mais comme les comparaisons de Peuple à Peuple sont difficiles, qu’il y faut faire entrer un fort grand nombre d’objets, & qu’elles manquent toujours d’exactitude par quelque cote, on est beaucoup plus sur de ce qu’on fait en suivant l’histoire d’un même Peuple, & comparant les progrès de ses connoissances avec les révolutions de ses mœurs. Or, le résultat de cet examen est que le beau tems, le tems de la vertu de chaque Peuple, a été celui do son ignorance ; & qu’a mesure qu’il est devenu savant, artiste, & philosophe, il a perdu ses mœurs & sa probité ; il est redescendu à cet égard au rang des Nations ignorantes & vicieuses qui sont la bonté de l’humanité. Si l’on vent s’opiniâtrer à y chercher des différences, j’en puis reconnoître une, & la voici : C’est que tous les Peuples barbares, ceux mêmes qui sont sans vertu honorent cependant