Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t7.djvu/160

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la nouveauté lui a acquis plus de sectateurs que la solidité de ses raisons. Je ne crains point de combattre seul dans mon siecle ces maximes odieuses qui ne tendent qu’ à détruire & avilir la vertu, & à faire des riches & des misérables, c’est -à-dire, toujours des, mechans.

On croit m’embarrasser beaucoup en me demandant à quel point il faut borner le luxe ? Mon sentiment est qu’il n’en faut point du tour. Tout est source de mal au-delà du nécessaire faire physique. La nature ne nous donne que trop de besoins ; & c’est au moins une très-haute imprudence de les multiplier sans nécessité, & de mettre ainsi son ame dans une plus grands dépendance. Ce n’est pas sans raison que Socrate, regardant l’étalage d’une boutique, se félicitoit de n’avoir à faire de rien de tout cela. Il y a cent à parier contre un, que le premier qui porta des sabots etoit un homme punissable, à moins qu’il n’eut mal aux pieds. Quant à nous, nous sommes trop obliges d’avoir des souliers, pour n’être pas dispenses d’avoir de la vertu.

J’ai déjà dit ailleurs que je ne proposois point de bouleverser la société actuelle, de brûler les Bibliothèques & tous les livres, de détruire les Colleges & les Académies : & je dois ajouter ici que’ je ne propose point non plus de réduire les hommes à se contenter du simple nécessaire. Je sens bien qu’il ne faut pas former le chimérique projet d’en faire d’honnêtes gens : mais je me suis cru oblige de dire sans déguisement la vérité qu’on m’a demandée. J’ai vu le mal & tache d’en trouver les causes : d’autres plus hardis ou plus insensées pourront chercher le remede.