Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t7.djvu/301

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“Compagnons, j’ai peine à dire ſous quel titre je me préſente en ce lieu : car élevé par vous à l’Empire je ne puis me regarder comme particulier, ni comme Empereur tandis qu’un autre commande, & l’on ne peut ſavoir quel nom vous convient à vous-mêmes qu’en décidant ſi celui que vous protégez est le Chef ou l’ennemi du Peuple Romain. Vous entendez que nul ne demande ma punition qui ne demande auſſi la vôtre, tant il est certain que nous ne pouvons nous ſauver ou périr qu’ensemble, & vous devez juger de la facilité avec laquelle le clément Galba a peut-être déjà promis votre mort par le meurtre de tant de milliers de ſoldats innocens que personne ne lui demandoit. Je frémis en me rappellant l’horreur de ſon entrée, & de ſon unique victoire, lorſqu’aux yeux de toute la Ville il fit décimer les priſonniers ſupplians qu’il avoit reçus en grace. Entré dans Rome ſous de tels auſpices, quelle gloire a-t-il acquiſe dans le gouvernement, ſi ce n’eſt d’avoir fait mourir Sabinus & Marcellus en Eſpagne, Chilon dans les Gaules, Capiton en Allemagne, Macer en Afrique, Cingonius en route, Turpilien dans Rome, & Nymphidius au Camp ? Quelle armée ou quelle Province ſi reculée ſa cruauté n’a-t-elle point ſouillée & deshonorée, ou ſelon lui lavée & purifiée avec du ſang ? Car traitant les crimes de remedes & donnant de faux noms aux choſes, il appelle la barbarie ſévérité, l’avarice économie, & diſcipline tous les maux qu’il vous fait ſouffrir. Il n’y a pas ſept mois que Néron eſt mort, & Icelus a déjà plus volé que n’ont fait Elius, Polyclete & Vatinius. Si Vinius lui-même eût été Empereur, il eût gouverné avec moins d’avarice & de licence,