Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t7.djvu/373

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mais jugeant impoſſible d’exercer tout-d’un-coup avec la dignité convenable un pouvoir acquis par le crime, il tint enfin le diſcours ſuivant.

“ Compagnons, je ne viens ici ni ranimer votre zele en ma faveur, ni réchauffer votre courage ; je ſais que l’un & l’autre ont toujours la même vigueur ; je viens vous exhorter au contraire à les contenir dans de juſtes bornes. Ce n’eſt ni l’avarice ou la haine, cauſes de tant de troubles dans les armées, ni la calomnie ou quelque vaine terreur, c’eſt l’excès ſeul de votre affection pour moi qui a produit avec plus de chaleur que de raiſon le tumulte de la nuit derniere : mais avec les motifs les plus honnêtes, une conduite inconſidérée peut avoir les plus funeſtes effets. Dans la guerre que nous allons commencer eſt-ce le tems de communiquer à tous chaque avis qu’on reçoit, & faut-il délibérer de chaque choſe devant tout le monde ? L’ordre des affaires ni la rapidité de l’occasion ne le permettroient pas, & comme il y a des choses que le ſoldat doit ſavoir, il y en a d’autres qu’il doit ignorer. L’autorité des chefs & la rigueur de la diſcipline demandent qu’en plusieurs occaſions les Centurions & les Tribuns eux-mêmes ne ſachent qu’obéir. Si chacun veut qu’on lui rende raiſon des ordres qu’il reçoit, c’en eſt fait de l’obéiſſance & par conſéquent de l’Empire. Que ſera-ce, lorsqu’on oſera courir aux armes dans le tems de la retraite & de la nuit ? Lorſqu’un ou deux hommes perdus, & pris de vin, car je ne puis croire qu’une telle frénéſie en ait