Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t8.djvu/415

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n'ont jamais plus d'énergie que quand ils font l'effet des couleurs.

Mais lorsqu'il est question d'émouvoir le cœur & d'enflammer les passions, c'est toute autre chose. L'impression successive du discours, qui frappe à coups redoublés, vous donne une bien autre émotion que la présence de l'objet même, où d'un coup-d'œil vous avez tout vu. Supposez une situation de douleur parfaitement connue, en voyant la personne affligée vous serez difficilement ému jusqu'à pleurer ; mais laissez-lui le tems de vous dire tout ce qu'elle sent, & bientôt vous allez fondre en larmes. Ce n'est qu'ainsi que les scenes de tragédie font leur effet (*)

[* J'ai dit ailleurs pourquoi les malheurs feints nous touchent bien plus que les véritables. Tel sanglote à la tragédie qui n'eût de ses jours pitié d'aucun malheureux. L'invention du Théâtre est admirable pour énorgueillir notre amour-propre de toutes les vertus que nous n'avons point.]

La seule pantomime sans discours vous laissera presque tranquille ; le discours sans geste vous arrachera des pleurs. Les passions ont leurs gestes, mais elles ont aussi leurs accens, & ces accens qui nous font tressaillir, ces accens auxquels on ne peut dérober son organe, pénétrent par lui jusqu'au fond du cœur, y portent malgré nous les mouvemens qui les arrachent, & nous font sentir ce que nous entendons. Concluons que les signes visibles rendent l'imitation plus exacte, mais que l'intérêt s'excite mieux par les sons.

Ceci me fait penser que si nous n'avions jamais eu que des besoins physiques, nous aurions fort bien pu ne parler jamais & nous faire entendre parfaitement, par la seule langue du geste.