Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t9.djvu/515

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on commença de sentir qu’indépendamment de la déclamation musicale, que souvent la Langue comportoit mal, le choix du Mouvement, de l’Harmonie & des Chants n’étoit pas indifférent aux choies qu’on avoir à dire, & que, par conséquent, l’effet de la seule Musique borné jusqu’alors au sens, pouvoit aller jusqu’au cœur. La Mélodie, qui ne s’étoit d’abord séparée de la Poésie que par nécessité, tira parti de cette indépendance pour se donner des beautés absolues & purement musicales : l’Harmonie découverte ou perfectionnée lui ouvrit de nouvelles routes pour plaire & pour émouvoir ; & la Mesure, affranchie de la gêne du Rhythme poétique, acquit aussi une sorte de cadence à part, qu’elle ne tenoit que d’elle seule.

La Musique, étant ainsi devenue un troisieme Art d’imitation, eût bientôt son langage, son expression, ses tableaux tout-à-fait indépendans de la Poésie. La Symphonie même apprit à parler sans le secours des paroles, & souvent il ne sortoit pas des sentimens moins vifs de l’Orchestre que de la bouche des Acteurs. C’est alors que, commençant à se dégoûter de tout le clinquant de la féerie, du puérile fracas des machines, & de la fantasque image des choses qu’on n’a jamais vues, on chercha dans l’imitation de la Nature des tableaux plus intéressans & plus vrais. Jusques-là l’Opéra avoit été constitué comme il pouvoit l’être ; car quel meilleur usage pouvoir-on faire au Théâtre d’une Musique qui ne savoit rien peindre, que de l’employer a la représentation des choses qui ne pouvoient exister, & sur lesquelles personne n’étoit en état de comparer l’image & l’objet ? Il est impossible