Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t9.djvu/518

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Ces nouveaux Poemes que le génie avoit créés, & que lui seul pouvoit soutenir, écarterent sans effort les mauvais Musiciens qui n’avoient que la mécanique de leur Art, &, privés du feu de l’invention & du don de l’imitation, faisoient des Opéra comme ils auroient fait des sabots. À peine les cris des Bacchantes, les conjurations des Sorciers & tous les Chants qui n’étoient qu’un vain bruit, furent-ils bannis du Théâtre ; à peine eût-on tenté de substituer à ce barbare fracas les accens de la colore, de la douleur, des menaces, de la tendresse, des pleurs,des gémissemens, & tous les mouvemens d’une ame agitée, que, forcés de donner des sentimens aux Héros & un langage au cœur humain, les Vinci, les Léo, les Pergolèse, dédaignant la servile imitation de leurs prédécesseurs, & s’ouvrant une nouvelle carriere, la franchirent sur l’aile du Génie, & se trouveront au but presque dés les premiers pas. Mais on ne peut marcher long-tems dans la route du bon goût sans monter ou descendre, & la perfection est un point où il est difficile de se maintenir. Après avoir essayé & senti ses forces, la Musique en état de marcher seule, commence à dédaigner la Poésie qu’elle doit accompagner, & croit en valoir mieux en tirant d’elle-même les beautés qu’elle partageoit avec sa compagne. Elle se propose encore, il est vrai, de rendre les idées & les sentimens du Poete ; mais elle prend, en quelque sorte, un autre quoique l’objet soit le même, le Poete & le Musicien, trop séparés dans leur travail, en offrent à la fois deux images ressemblantes, mais distinctes, qui se nuisent mutuellement. L’esprit forcé de se partager,