Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t9.djvu/521

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toujours plus agréable que celle des êtres imaginaires, n’en devient que plus intéressante en devenant plus vraisemblable. Un beau Palais, des Jardins délicieux, de savantes ruines plaisent encore plus à l’œil que la fantasque image du Tarrare, de l’Olympe, du Char du Soleil ; image d’autant plus inférieure à celle que chacun se trace en lui même, que dans les objets chimériques, il n’en coûte rien à l’esprit d’aller au-delà du possible, & de se faire des modeles au-dessus de toute irritation.

De-là vient que le merveilleux, quoique déplacé dans la Tragédie, ne l’est pas dans le Poeme épique, où l’imagination toujours industrieuse & dépensiere se charge de l’exécution, & en tire un tout autre parti que ne peut faire sur nos Thé âtres le talent du meilleur Machiniste, & la magnificence du plus puissant Roi.

Quoique la Musique prise pour un Art d’imitation ait encore plus de rapport à la Poésie qu’à la Peinture ; celle-ci, de la maniere qu’on l’emploie au Théâtre, n’est pas aussi sujette que la Poésie à faire avec la Musique une double représentation du même objet ; parce que l’une rend les sentimens des hommes, & l’autre seulement l’image du lieu où ils se trouvent, image qui renforce l’illusion & transporte le Spectateur par-tout où l’Acteur est supposé être. Mais ce transport d’un lieu à un autre doit avoir des regles & des bornes : il n’est permis de se prévaloir’, à cet égard, de l’agilité de l’imagination qu’en consultant la loi de la vraisemblance, &, quoique le Spectateur ne cherche qu’à se prêter à des fictions dont il tire tout son plaisir, il ne faut pas abuser de sa crédulité au point de lui en faire honte. En un