Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/349

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qui vous a aussi été conservé. Article essentiel, Article équipondérant à tous ceux qui vous sont contraires, & si nécessaire à l’effet de ceux qui vous sont favorables, qu’ils seroient tous inutiles si l’on venoit à bout d’éluder celui-là, ainsi qu’on l’a entrepris. Nous voici parvenus au point important ; mais pour en bien sentir l’importance, il faloit peser tout ce que je viens d’exposer.

On a beau vouloir confondre l’indépendance & la liberté. Ces deux choses sont si différentes que même elles s’excluent mutuellement. Quand chacun fait ce qu’il lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d’autres, & cela ne s’appelle pas un état libre. La liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à n’être pas soumis à celle d’autrui ; elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d’autrui à la nôtre. Quiconque est maître, ne peut être libre ; & régner, c’est obéir. Vos Magistrats savent cela mieux que personne : eux qui comme Othon n’omettent rien de servile pour commander.*

[*En général, dit l’Auteur des Lettres, les hommes craignent encore plus d’obéir qu’ils n’aiment à commander. Tacite en jugeoit autrement, & connoissoit le cœur humain. Si la maxime étoit vraie, les Valets des Grands seroient moins insolens avec les Bourgeois ; & l’on verroit moins de fainéans ramper dans les Cours des Princes. Il y a peu d’hommes d’un cœur assez sain pour savoir aimer la liberté. Tous veulent commander ; à ce prix, nul ne craint d’obéir. Un petit parvenu se donne cent maîtres pour acquérir dix valets. Il n’y a qu’à voir la fierté des nobles dans les Monarchies ; avec quelle emphase ils prononcent ces mots de service & de servir ; combien ils s’estiment grands & respectables quand ils peuvent avoir l’honneur de dire, le Roi mon maître ; combien ils méprisent des Républicains qui ne sont que libres, & qui certainement sont plus nobles qu’eux.] Je ne connois de volonté vraiment libre que celle à laquelle nul n’a