Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/240

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Pour qu'un Etat monarchique put être bien gouverné, il faudrait que sa grandeur ou son étendue[1] fût mesurée aux facultés de celui qui gouverne. Il est plus aisé de conquérir que de régir. Avec un levier suffisant , d'un doigt on peut ébranler le monde; mais pour le soutenir il faut les épaules d'Hercule. Pour peu qu'un Etat soit grand, le prince est presque toujours trop petit. Quand, au contraire, il arrive que l'État est trop petit pour son chef, ce qui est très rare, il est encore mal gouverné, parce que le chef, suivant toujours la grandeur de ses vues, oublie les intérêts des peuples, et ne les rend pas moins malheureux par l'abus des talents qu'il a de trop qu'un chef borné par le défaut de ceux qui lui manquent. Il faudrait, pour ainsi dire, qu'un royaume s'étendît ou se resserrât à chaque règne, selon la portée du prince ; au lieu que, les talents d'un sénat ayant des mesures plus fixes[2], l'Etat peut avoir des bornes constantes et l'administration n'aller pas moins bien.

Le plus sensible inconvénient du gouvernement d'un seul est le défaut de cette succession continuelle qui forme dans les deux autres une liaison non interrompue. Un roi mort, il en faut un autre ; les élections laissent des intervalles dangereux ; elles sont orageuses; et à moins que les citoyens ne soient d'un désintéressement, d'une intégrité que ce gouvernement ne comporte guère, la brigue et la corruption s'en mêlent.

  1. La grandeur d'un État dépend du nombre de ses habitants ; l'étendue s'entend de son territoire.
  2. D'abord, parce que l'élection garantit chez tous les sénateurs un certain talent ; ensuite, parce qu'il se fait entre eux une sorte de moyenne.