Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/123

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66 DU CONTRAT SOCIAL. fonction qui se rapporte a un objet individuel n’appartient point a la puissance législative (1). Sur cette idée, on voit a l’instant qu’il ne faut plus de- mander a qui il appartient de faire des lois, puisqu’elles sont des actes de la volonté générale; ni si le prince est au—dessus des lois, puisqu’il est membre de l’État (2); ni si la loi peut être injuste, puisque nul n’est injuste envers lui-même (3); (1) Hobbes, De Cive, chap.XII. — Les lois sont faites pour Titius et pour Cassius et non pas pour le corps de l’État. .. (2) R. 8e Lettre de la Montagne.- Il n’y a donc point de liberté sans lois, ni ou quelqu’un est au—dessus des lois: dans l’état même de nature, l’homme n’est libre qu’à la faveur de la loi naturelle, qui commande a tous. Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas; il a des chefs, et non pas des maîtres; il obéit aux lois, mais il n’obéit qu’aux lois, et c’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes. Toutes les barrières qu'on donne dans les républiques au pouvoir des magistrats ne sont établies que pour garantir de leurs atteintes l’enceinte sacrée des lois : ils en sont les minis- tres, non les arbitres; ils doivent les garder, non les enfreindre. Un peuple est libre, quelque forme qu’ait son gouvernement, quand, dans celui qui le gouverne, il ne voit point l’homme, mais l’organe de la loi. En un mot, la liberté suit toujours le sort des lois, elle règne ou périt avec elles; je ne sache rien de plus certain. (3) R. g° Lettre de la Montague. — Le premier et le plus grand intéret public est toujours la justice. Tous veulent que les conditions soient égales pour tous, et la justice n’est que cette égalité. Le citoyen ne veut que les lois et que l‘observation des lois. Chaque particulier dans le peuple sait bien que, s’il y a des exceptions, elles ne seront pas en sa faveur. Ainsi tous craignent les exceptions; et qui craint les exceptions aime la loi. Chez les chefs, c’est tout autre chose: leur état meme est un état de préférence ; et ils cherchent des preferences partout. La justice dans le peuple est une vertu d’état; la violence et la tyrannie est de meme dans les chefs un vice d’état. Si nous étions a leurs places, nous autres particuliers, nous deviendrions comme eux violents,usurpateurs, iniques. Quand des magistrats viennent donc nous precher leur intégrité, leur modération, leur justice, ils nous trompent, s`ils veulent obtenir ainsi la coniiance que nous ne leur devons pas : non qu'ils ne puissent avoir per- sonnellement ces vertus dont ils se vantent; mais alors ils font une excep- tion, et ce n’est pas aux exceptions que la loi doit avoir égard. S’ils veulent des lois, ce n’est pas pour leur obéir, c’est pour en etre les arbitres. lis veulent des lois pour se mettre a leur place et pour se faire craindre en leur nom. Tout les favorise dans ce projet : ils se servent des droits qu'ils ont pour usurper sans risque ceux qu'ils n’ont pas. Comme ils parlent toujours au nom de la loi, meme en la violant, quiconque ose la dé- fendre contre eux est un séditieux, un rebelle; il doit périr : et pour eux, toujours surs de l’impunité dans leurs entreprises, le pis qui leur arrive est de ne pas réussir. S’ils ont besoin d’appui, partout ils en trouvent. C’est une l