Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/184

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LIVRE III. — CHAP. VI. uy Les meilleurs rois veulent pouvoir étre méchants s’il leur plait, sans cesser d’étre les maitres; un sermonneur poli- tique aura beau leur dire que la force du peuple étant la leur, leur plus grand intérét est que le peuple soit florissant, nombreux, redoutable; ils savent tres bien que cela n’est pas vrai. Leur intérét personnel est premiérement que le peuple soit faible, misérable, et qu’il ne puisse jamais leur I`éSlSI€I' J’3VO.I€ qLlC, supposant les Slj€IS IO�i0UI`S p&I`f&l- tement soumis, l’intérét du prince serait alors que le peuple fflt pulssant, afin que cette puissance étant la sienne le fcn- dit redoutable 21 ses voisins; mais, comme cet intérét n’est que secondaire et subordonné, et que les deux suppositions sont incompatibles, il est naturel que les princes donnent toujours la préférence a la maxime qui leur est le plus im- médiatement utile. C’est ce que Samuel représentait forte- ment aux Hébreux; c‘est ce que Machiavel a fait voir avec évidence (2). En feignant de donner des lecons aux rois, il en (1) Mncuuvm., Discours sur Tite—Liv¢, liv. II, chap. n. — C’est le bien général et non Pintérét particulier qui fait la puissance d’un Etat, et sans contredit on n’a en vue le bien public que dans les républiques; on ne s’y détermine Za faire que ce qui tourne a Pavantage commun, et si par hasard on fait le malheur dc quelques particuliers, tant de citoyens y trouvent de l’avantage qu’ils sont toujours assurés de l’emporter sur ce petit nombre d’individus dont les intéréts sont blessés. Le contraire arrive sous le gou- veruement d’un prince; lelplus souvent son intérét particulier est en opposition avec celui de l’Etat. Ainsi, un peuple libre est-il asservi, le moindre mal qui puisse lui arriver sera d’étre arrété dans ses progres et de ne plus accroitre ni ses richesses, ni sa puissance ; mais le plus souvent il ne va plus qu’en déclinant. Si le hasard lui donne pour tyran un homme plcin d’habiIeté et de courage, qui recule les bornes de son empire, ses conquetes seront sans utilité pour Ia république et ne seront profitables et utiles qu’a lui. Elévera-t·il aux places des hommes de valeur, lui qui les tyrannise et ne veut pas avoir a les craindre? Soumettra-t-il les pays voisins pour les rendre tributaires d’un Etat qu’il opprime? Rendre cet Etat puis- sant n’est pas ce qui lui convient. Son intérét est de rendre chacun de ses membres isolé et que chaque province, ehaque terre, ne reconnaisse que lui pour maitre. Ainsi la patrie n’aura aucun avantage de ses conquetes. Elles ne prolitent qu’a lui seul. (2)At.oza1¤ox Sinner, Discours sw- Ie gouvemement, chap. m, sect. 3. — Tous ceux d’entre les interpretes qui ont passé pour gens de bien et pour personnes éclairées conviennent que ce que Samuel dit au peuple ne tendait qu’a les détourner de leur pcrnicieux dessein et que son intention n’était pas