Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/239

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et, à mesure qu’il devient nécessaire d’en promulguer de nouvelles, cette nécessité se voit universellement. Le premier qui les propose ne fait que dire ce que tous ont déjà senti, et il n’est question ni de brigues ni d’éloquence pour faire passer en loi ce que chacun a déjà résolu de faire, sitôt qu’il sera sûr que les autres le feront comme lui.

Ce qui trompe les raisonneurs, c’est que, ne voyant que des États mal constitués des leur origine, ils sont frappés de l’impossibilité d’y maintenir une semblable police. Ils rient d’imaginer toutes les sottises qu’un fourbe adroit, un parleur insinuant pourrait persuader au peuple de Paris ou de Londres. Ils ne savent pas que Cromwell eût été mis aux sonnettes par le peuple de Berne, et le duc de Beaufort à la discipline par les Genevois(1).

Mais quand le nœud social commence à se relâcher et pris a part, n’est pas un homme remarquable, est cependant au-dessus des hommes supérieurs, sinon individuellement du moins eu masse, comme un repas h frais communs est plus splendide que le repas dont un seul fait la dépense. Dans cette multitude, chaque individu a sa part de vertu, de sagesse, et tous, en se rassemblant, forment, on peut dire, un seul homme ayant des mains, des pieds, des sens innombrables, un moral et une intelligence en proportion… Je comprends, par la masse des citoyens, tous les hommes d’une fortune et d’un mérite ordinaires… Quand ils sont assemblés, leur masse sent toujours les choses avec une intelligence suffisante… Mais les individus pris isolément n’en sont pas moins incapables de juger… L’élection des magistrats remise à la multitude peut être attaquée dc la même manière. Ceux-la seuls qui savent faire la chose, dira-t-on, ont assez de lumières pour choisir… Les individus isolés jugeront moins bien que les savants, j’en conviens ; mais tous réunis, ou ils vaudront mieux ou ils ne vaudront pas moins. La souveraineté doit appartenir aux lois fondées sur la raison, et le ma- gistrat, unique ou multiple, ne doit être souverain que la ou la loi n’a pu rien disposer par Pimpossibilité de préciser tous les détails dans les réglements généraux. Moirrssqutau, Esprit des Lois, liv. IV, chap. v. — C’est dans le gouver— nement républicain que 1’on a besoin de toute la puissance de l’éducation… la vertu est un rcnoncement at soi-meme qui est touiours une chose tres pénible. On peut définir cette vertu l’amour des lois et de la patrie… le gouvernement est comme toutes les choses du monde, pour le conserver, il faut l’aimer. (1) Machiavel, Le Prince, chap. v. — Quiconque devient maître d’une