Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/283

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z¤6 DU CONTRAT SOCIAL. non pas celui d’aujourd’hui, mais celui de l’Evangile, qui en est tout a fait diiférent. Par cette religion sainte, sublime, véritable, les hommes, enfants du méme Dieu, se reconnaissent tous pour freres, et la société qui les unit ne se dissout pas meme a la mort. _ . Mais cette religion, n’ayant nulle relation particuliére avec le corps politique, laisse aux lois la seule force qu’elles tirent d’elles-mémes sans leur en ajouter aucune autre; et par la un des grands liens de la société particuliere reste sans effet. Bien plus, loin d`attacher les coeurs des citoyens a l’Etat, elle les en détache comme de toutes les choses de la terre. Je ne connais rien de plus contraire a l’esprit social (1). On nous dit qu’un peuple de vrais chrétiens formerait la plus parfaite société que l’on puisse imaginer. Je ne vois a cette supposition qu’une grande difficulté : c’est qu’une société de vrais chrétiens ne serait plus une société d’hommes. Je dis meme que cette société supposée ne serait, avec toute sa perfection, ni la plus forte ni la plus durable : a force d’étre parfaite, elle manquerait de liaison; son vice destructeur serait dans sa perfection meme. de naitre en détruisant les moeurs qui les multiplient, en les détachant de leur espéce, en réduisant toutes leurs affections a un secret égoisme, aussi funeste A la population qu’a la vertu. L’indit'férence philosophique ressemble a la tranquillité de l’Etat sous le despotisme; c’est la tranquillité de la mort : elle est plus destructive que la guerre meme. (t)R.Lettre ix Moultou (2t octobre t762).-Vous avez tres bien vu l°état de la question dans le dernier chapitre du Contrat social, et la critique de Roustan porte a faux a cet égard. — Voici le passage de la lettre a Moultou, a laquelle Rousseau fait allusion : •< R. n’a pas compris votre dernier cha- pitre du Contrat social, au moins il ne l’a pas entendu comme moi. Quand vous dites que le christianisme est contraire a l’esprit social, il me semble que cette assertion revient a celle-ci, que la bienveillance se relache en s`étendant et que 1e christianisme nous faisant envisager tous les hommes comme nos freres nous empeche de meme une grande difference entre eux et nos concitoyens. De la le systeme du christianisme est plus favorable A la société universelle des hommes qu’aux sociétés particulieres, le chrétien est plus cosmopolite que patriote. » (J.—J. Rousseau ses amis et ses ennemis, correspondance publiée par Streckeisen-Moultou. 2 vol. Paris, Michel Lévy, éditeur, 1865, tome I, page 65).